XVII
LE PLUS COURAGEUX

Bolitho attendit que le pont se fût un peu stabilisé avant de pointer sa lunette vers l’avant. Il voyait très nettement les huniers et les perroquets qui se détachaient sur le ciel bleu, mais le reste du brick était caché dans la brume.

S’il s’agissait bien du Revenge, son capitaine reconnaîtrait le White Hills au premier coup d’œil dès qu’il serait à la distance convenable. Et c’était peut-être déjà fait. Changer de route maintenant, tenter de prendre la fuite, lui dirait plus certainement ce qui s’était passé que n’importe quel défi.

Bolitho examina la flamme, le vent avait légèrement adonné, un quart ou deux. Il était certes tentant de virer et de fuir, mais si le vent redevenait contraire et les condamnait à des virements de bord incessants, l’autre brick n’aurait aucun mal à les rattraper. Avec un modeste équipage de prise, on ne pouvait demander à personne de se battre dans de telles conditions.

— Laisser venir un quart, ordonna-t-il à Stockdale.

Quinn appelait du grand mât :

— Je le vois mieux ! C’est ce vieux Mischief, j’en suis presque certain !

Bolitho mit ses mains en porte-voix :

— Du monde aux écoutes ! Vous, Buller, envoyez des hommes à l’écoute de misaine !

Il observa les vergues que les marins brassaient lentement pour remplir les voiles, pas suffisamment cependant pour laisser soupçonner une velléité de fuite.

Couzens arriva en courant, les mains sales, la chemise déchirée.

— Parés au poste de combat, monsieur ! Toutes les pièces sont chargées.

Bolitho eut un bref sourire. Par « toutes les pièces », Couzens voulait dire : les huit six-livres du White Hills. Le brick était conçu pour en recevoir quatorze, plus quelques pierriers, mais la perte du yawl avait mis fin à ce projet. Huit pièces, soit quatre de chaque bord. S’il essayait de faire passer tous les, canons d’un seul bord, l’autre s’en rendrait certainement compte. D’ailleurs, le brick grossissait à une vitesse surprenante. Bolitho vit un éclair qui se réfléchissait sur du métal, ou peut-être sur les lentilles de plusieurs lunettes.

Il s’approchaient en route convergente, beaupré contre beaupré.

L’équipage d’origine du White Hills était tout nouveau, mais le capitaine du Revenge connaissait certainement Tracy de vue. Il fallait essayer de rester le plus loin possible, pour tenter une manœuvre d’esquive à la tombée de la nuit.

— La terre sous le vent, un quart devant, monsieur !

La vigie avait fait bonne veille tandis que Quinn se concentrait sur le brick.

Bolitho jeta un coup d’œil à Frowd, qui semblait au bord du désespoir. Cette terre était sans doute l’un de ces nombreux îlots qui devaient baliser leur route sur cinquante milles entre Nevis et Antigua. C’était si peu de chose, et pourtant si loin…

— Le brick a changé de route, monsieur ! – un autre cri : Il montre son pavillon !

— Hissez donc le même, monsieur Couzens.

Il regarda monter les couleurs rouges et blanches à la corne.

Frowd trépignait, installé sur son panneau :

— Mais non, ça ne sert à rien, il se rapproche et il va s’arranger pour garder l’avantage du vent !

— Il va sûrement vouloir nous parler, fit Bolitho, au moins pour savoir si nous avons les canons et la poudre.

Il réfléchissait à voix haute. Frowd approuvait tout au fur et à mesure.

Stockdale tira Couzens par la manche :

— Préparez donc notre vrai pavillon, monsieur Couzens. J’imagine pas que notre lieutenant irait combattre sous des couleurs qui sont pas les siennes, pas aujourd’hui.

— Et comment ferions-nous pour combattre ? s’exclama Frowd. Vous êtes décidément un imbécile ! Ces corsaires sont toujours armés jusqu’aux dents. Ils doivent amener l’ennemi à raison le plus vite possible et avant que quelqu’un ait le temps de leur venir en aide. Combattre ? grogna-t-il, faut-il que vous soyez fou !

Bolitho avait pris sa décision.

— Nous allons commencer par réduire la toile, comme si nous nous préparions à lui parler. Si nous arrivons assez près sans avoir éveillé ses soupçons, nous l’aborderons par l’arrière, essaierons d’éliminer les hommes sur la dunette et de nous en emparer.

Stockdale approuva du chef.

— Et plus tard, nous pourrions déplacer deux pièces, monsieur, une pièce de chasse vaut mieux que rien du tout.

Bolitho faisait de son mieux pour garder son calme et pour laisser à son cerveau le temps de réfléchir. Il n’avait guère le choix, et celui-ci valait aussi bien qu’un autre. Mais il fallait se décider, soit à faire preuve d’un culot insensé, soit à se rendre.

— A affaler la grand-voile !

Les quelques hommes disponibles se mirent aux manœuvres. Son adversaire constaterait rapidement qu’il avait affaire à un équipage diminué, il imaginerait peut-être que cela était dû à un combat. Le gros trou fait par un dix-huit-livres du Trojan dans le pavois devait être très visible.

Il se demandait ce qui était arrivé à son premier capitaine quand il avait été pris pour la première fois. Quatorze canons, un équipage déterminé, voilà qui représentait tout de même un ennemi coriace. Bolitho observait le brick, la rangée de canons sur le bord opposé. Aucune pièce n’était armée, mais il voyait quelques têtes dépasser en face de lui au-dessus des sabords fermés. Derrière les mantelets, les pièces étaient sans doute chargées et parées.

Moffitt arrivait. Il dit d’un ton amer :

— Z’avez besoin de moi, m’sieur ? Je sais comment il faut parler à ces salopards !

— Soyez prêt.

Bolitho examinait les voiles une par une, la lame d’étrave, les vergues qui manœuvraient dans un ordre parfait.

Un demi-mille. Il n’y en avait plus pour très longtemps.

Il tourna les yeux vers son propre équipage. Tous étaient anxieux, même les blessés essayaient de passer une tête par-dessus le pavois pour voir ce qui se passait.

— Descendez, monsieur Quinn !

Et à Stockdale et Buller :

— Veillez à ce que les hommes dissimulent bien leurs armes. Quand j’en donnerai l’ordre, vous mettrez ces quatre pièces en batterie aussi rapidement que possible, et feu à volonté. Si nous arrivons à abattre leurs officiers, nous pourrons utiliser l’effet de surprise et nous battre à visage découvert.

Quinn arriva sur le pont, essoufflé, les yeux rivés sur l’ennemi.

— Vous ne croyez pas qu’ils nous ont démasqués ?

— Non, je ne crois pas.

Bolitho croisa les bras, espérant qu’il paraîtrait ainsi plus calme.

— Sans cela, ils nous seraient déjà tombés dessus, ils ont tous les atouts.

Et si le vent venait à tourner ? Il chassa bien vite cette hypothèse et se concentra sur les voiles, la flamme. Le vent du nordet était bien établi et assez frais. Vergues impeccablement brassées, le White Hills faisait route bâbord amure, au largue. S’ils arrivaient à faire hésiter l’autre capitaine assez longtemps, à le faire attendre jusqu’à la nuit, ils pouvaient fort bien le distancer entre les îles pendant la nuit et avoir disparu au matin.

Dans ce cas, même si le capitaine corsaire essayait à tout prix d’emporter la victoire et parvenait à reprendre le contact, ils pourraient encore l’entraîner dans le nord, ou dans le détroit entre Nevis et Saint-Christophe. Les parages y étaient particulièrement dangereux, au large de la pointe Scotch Bonnet par exemple, ils pouvaient contraindre leur poursuivant à s’échouer.

Au cours de cette phase particulièrement périlleuse, leur seul allié était le vent. Les deux bricks portaient toute leur toile et pouvaient donc manœuvrer avec toute la rapidité souhaitée.

— Il doit faire route sudet, observa Stockdale, il a le vent pratiquement dans le cul.

Bolitho lui fit signe qu’il avait entendu. Stockdale essayait désespérément de l’aider, d’où ce commentaire quasi professionnel.

La distance était maintenant tombée à moins d’un quart de mille, ils distinguaient des visages à l’arrière et sur le château.

— Lorsqu’il nous hélera, Moffitt, répondez à leur capitaine que Tracy est au lit, qu’il a reçu une blessure grave au cours d’une affaire avec les Britanniques.

L’homme réfléchissait, pinçait les lèvres.

— Après tout, ce n’est pas un mensonge, restez naturel, compris ?

— Je m’arrangerai, répondit froidement Moffitt, pour qu’ils ne guérissent jamais s’ils montent à l’abordage, monsieur !

Du bord du vent, les hommes rampaient de façon bizarre sur leurs coudes et leurs genoux autour des quatre petites pièces. Les canons étaient chargés à mitraille, ce qui n’aurait pas même causé une égratignure à un deux-ponts comme le Trojan. Mais une bonne décharge qui vous balaye la dunette pouvait suffire à faire la différence. Le temps, toujours le temps, c’était comme le marteau qui attend de s’abattre sur l’enclume.

Deux ombres se mirent à bouger au flanc du Revenge et Bolitho entendit un murmure de crainte s’élever chez les blessés. Le Revenge venait de relever deux mantelets à l’avant, une paire de gueules noires sortit lentement du pavois.

— Il est au courant de tout, ce salopard, murmura Frowd d’une voix inquiète.

— Je ne crois pas, lui répondit Bolitho. Il aurait sorti toute sa bordée s’il était sûr d’avoir affaire à un ennemi, et il serait peut-être passé derrière nous.

Il fallait absolument qu’il partage toutes ses réflexions avec ceux qui l’entouraient.

— Il a eu le temps de nous observer, comme nous. Ils ont dû remarquer que Tracy n’était pas sur le pont. Si le capitaine du Revenge vient tout juste d’embarquer, il hésitera à courir trop de risques, mais ne voudra pas non plus montrer à ses hommes qu’il a peur ou qu’il hésite. Prendre la suite d’un homme comme Tracy n’est pas donné à tout le monde.

Quelques marins s’observaient l’un l’autre, comme pour se donner mutuellement du courage. Mais Bolitho savait très bien qu’il était le seul à pouvoir leur insuffler un peu d’espoir.

Le capitaine du Revenge pouvait bien avoir autant d’expérience que Tracy. Dans ce cas, il profiterait de ce que le White Hills ne changeait pas de route pour lui faire subir un terrible bombardement. Toutes ses pièces étaient prêtes à faire feu dans l’instant.

Moffitt attrapa un porte-voix et grimpa nonchalamment dans les enfléchures au vent. Il était encore trop tôt, mais cela pouvait distraire l’ennemi. Dans le cas contraire, le combat ferait rage dans moins d’un quart d’heure.

— Vous, ici, fit Bolitho d’une voix égale, conduisez donc Mr. Frowd et les blessés en bas ! Si nous devons évacuer le navire, le grand canot leur sera réservé, et à eux seuls.

Frowd fit volte-face sur son panneau comme un terrier enragé.

— Allez au diable, je ne veux pas être traité comme une vieille femme malade ! – il grimaça sous le coup d’une douleur soudaine et poursuivit d’une voix plus calme : Je ne veux pas vous manquer de respect, monsieur, mais essayez de me comprendre.

— Et que dois-je comprendre ?

Frowd tanguait comme un buisson couché par le vent, la coque dansait violemment dans le clapot.

— Si votre plan marche, monsieur, et je prie Dieu qu’il marche, nous allons être entraînés dans une poursuite que le meilleur marin gagnera, pourvu qu’il ait de la chance.

Bolitho se mit à sourire.

— C’est possible.

— Mais si, comme je le pressens, nous devons nous battre, alors, pour l’amour du ciel, laissez-moi prendre ma part. Je suis dans la marine depuis aussi loin que remontent mes souvenirs. Si je dois terminer mon existence en entendant les boulets passer au-dessus de ma tête, j’aurai l’impression d’avoir eu une vie aussi inutile que celle de n’importe quel gouillot.

— Très bien, fit Bolitho en se tournant vers Couzens, aidez le lieutenant à trouver un endroit à l’arrière et faites en sorte qu’il reçoive de la poudre et des balles en quantité pour recharger les pistolets et les mousquets. Cela donnera au moins une certaine impression de nombre.

— Ça, monsieur, ça me convient ! s’exclama Frowd. Je ne demande rien de plus. Ces diables-là sont peut-être quatre fois plus nombreux que nous, peut-être davantage encore. Et nous pouvons réduire cet avantage en maintenant un feu nourri.

Il faut l’entendre pour y croire, se dit Bolitho : tout le discours de Frowd tendait à montrer que leur fin était aussi proche qu’inévitable et, cependant, il avait ôté à tous leurs craintes. L’attente était toujours le pire moment, alors qu’ils comprenaient très facilement la nécessité de combattre et de mourir. Il avait l’impression d’entendre Sparke : gardez-les sans cesse occupés, ne leur laissez pas le temps de s’attendrir.

Il se retourna pour regarder le Revenge. Le foc et les étais faseyaient comme des ailes brisées, il serrait le vent pour se rapprocher encore. Vu d’aussi près, il était encore plus impressionnant. La coque avait souffert du mauvais temps, les voiles étaient tachées et rapiécées en plusieurs endroits. Le Revenge avait dû se battre bien souvent contre ses anciens propriétaires, songea-t-il amèrement.

— Nous allons lui laisser encore quelques minutes, Stockdale, puis nous remonterons plein est. Cela paraîtra plus naturel pour quelqu’un qui accepte de parler.

Il ferma les yeux en entendant le choc d’un anspect qui était tombé sur le pont. Le fautif le ramassa sous les bordées d’injures de Buller.

Chacun avait à côté de lui des couteaux et des pistolets. Les hommes étaient tendus comme des ressorts, tendus comme sous le poids d’une lourde charge. Chaque minute d’attente était un supplice.

— Du monde aux écoutes, parés !

Bolitho se porta près de la lisse et ajouta sèchement :

— Doucement, les gars, pas de précipitation, prenez votre temps !

Il en vit qui le regardaient d’un air incrédule : lorsque l’on servait sur un vaisseau du roi, se faire dire de prendre son temps était une espèce de blasphème.

— Et souvenez-vous que vous êtes des paysans, ajouta-t-il – quelques matelots se mirent à ricaner à cette plaisanterie stupide : Alors, faites-moi le plaisir d’oublier que vous êtes les meilleurs marins du monde !

— Mais faudrait pas que ça dure trop longtemps, hein m’sieur, fit Buller en riant.

— Allez Stockdale, on y va !

Les vergues et la barre manœuvrèrent dans un ensemble parfait, le petit brick tomba de trois quarts. Les mâts du Revenge perdaient lentement sur l’arrière, il vint en route parallèle et se retrouva finalement le boute-hors à hauteur du tableau du White Hills, à qui tous ces légers changements de route successifs avaient fini par donner un léger avantage. Cela lui avait surtout permis de gagner quelques précieuses minutes.

— Remercions le ciel qu’ils n’aient pas prévu de signaux, cette fois-ci, glissa Frowd entre ses dents.

— On croirait entendre le Sage.

Mais Frowd avait raison. L’ennemi aurait eu tout loisir de les observer s’ils avaient eu le temps d’établir un code de signaux efficace, comme dans toute marine entraînée.

Tout était calme sur le pont, on entendait seulement le clapotis de l’eau contre la coque, les claquements des voiles.

— J’en vois un avec un porte-voix, monsieur, observa Moffitt – il était parfaitement calme : Mais je sais quoi leur dire, je ne vous manquerai pas.

— Faudrait mieux pas, mathurin, fit Rabbett. J’ai déjà assez pratiqué de prisons comme ça pour pas avoir trop envie de tâter des leurs !

Moffitt esquissa un sourire, empoigna le porte-voix et le dirigea vers le brick. Les deux bâtiments avançaient doucement à la même route. Dans d’autres circonstances, le tableau aurait été plaisant. À présent, cette lente progression, cet attitude vaguement menaçante les faisaient ressembler à deux fauves qui se méfient d’un piège, mais qui ne veulent pas non plus montrer la moindre faiblesse à leur ennemi.

À l’arrière du Revenge, un homme fit un grand signe. C’est alors que la tension fut brisée par un hurlement épouvantable, le cri inhumain d’un damné soumis à des tourments indescriptibles. Les hommes occupés aux manœuvres, ceux qui attendaient près des pièces se regardaient entre eux, saisis d’horreur. Le cri n’en finissait pas de grossir, de plus en plus terrifiant.

— Pour l’amour de Dieu, fit Quinn, mais qu’est-ce qui se passe ?

— Gallimore, monsieur, lui répondit Stockdale. Sa blessure a dû exploser.

Bolitho acquiesça, il avait un goût de fiel dans la bouche. Il imaginait cette monstrueuse blessure gangrenée, ces chairs pourries qui l’avaient contraint à faire porter Gallimore dans le pic avant.

— Dites à Borga de le faire taire.

Il essayait de fermer ses oreilles à ce cri terrible, de chasser les images de cet homme à la torture. Mais une voix qui les hélait depuis l’autre bord le ramena à la réalité et au danger de la situation.

— Ohé, du White Hills ! Mais qu’est-ce que c’était que ça ?

Bolitho avait du mal à déglutir. Les derniers moments de ce malheureux Gallimore avaient rendu l’ennemi aussi nerveux que son propre équipage.

— Un blessé ! cria Moffitt.

Et il s’accrocha à un hauban pour ne pas tomber, mais Bolitho savait que c’était une ruse : Moffitt était aussi agile qu’un chat. Cela leur donnait un peu de temps.

— On a eu une escarmouche avec les Anglais, on a perdu quelques hommes !

Mais les cris s’arrêtèrent net, comme si l’homme avait été décapité.

— Et le capitaine Tracy, reprit la voix, est-il sain et sauf ? J’ai des ordres pour lui, si vous voyez !

— Il est gravement blessé.

Moffitt, accroché d’une main à son hauban, se retourna et fit par-dessus l’épaule :

— Z’ont deux canons, monsieur, les équipes de pièces se sont écartées.

Bolitho avait une envie furieuse de s’humecter les lèvres, d’essuyer la sueur qui lui dégoulinait dans les yeux. Faire n’importe quoi pour diminuer cette tension nerveuse, attendre, observer. Moffitt venait de voir ce qu’il n’avait même pas osé espérer. C’était peut-être le résultat des hurlements de Gallimore, ajouté à la confiance insolente dont faisait preuve Moffitt, au fait que le White Hills était le bâtiment qu’ils attendaient et à l’endroit prévu. Tout cela avait convaincu le capitaine du Revenge que les choses étaient normales.

Mais il y avait maintenant ce nouveau problème, les ordres destinés à Tracy : sans doute les détails du prochain rendez-vous, ou des nouvelles d’un convoi de ravitaillement qu’il pouvait attaquer. Sous peu, le capitaine du Revenge allait comprendre qu’il était le plus ancien et que c’était à lui qu’il incombait de décider.

— Il va bientôt suggérer que nous mettions en panne tous les deux, fit Bolitho à voix basse, pour qu’il puisse monter à bord et parler à Tracy, voir dans quel état il est.

— Et alors, monsieur, nous en profiterons pour nous échapper ? lui demanda Quinn.

Son visage était impassible.

— Oui – Bolitho jeta un rapide coup d’œil à la flamme : Dès qu’il aura pris le parti de réduire la toile et de venir dans le vent, nous tenterons notre chance.

Et, s’adressant à l’équipe de la pièce la plus proche :

— Soyez parés, les gars !

Un marin trop empressé s’agenouilla pour attraper une mèche lente.

— Non, laissez cela ! Attendez l’ordre !

— Je vais mettre en panne, reprit le capitaine du Revenge. Je viens à votre bord dès que…

Il n’eut pas le temps d’en dire plus. Comme un spectre sorti de la tombe, le capitaine Jouas Tracy émergeait de la descente, les veux exorbités, fou furieux.

Il tenait un pistolet avec lequel il fit feu sur un marin qui courait en essayant de la retenir. Touché au beau milieu du front, l’homme tomba sur le dos dans une mare de sang. Tracy ne cessait de hurler, sa voix puissante dominait tout :

— Mais descends donc ce salopard ! C’est un piège, imbécile !

Des coups de feu éclataient à bord de l’autre brick, on entendait des ordres confus, des gueules de canons apparurent aux sabords.

Un second marin se précipita vers la silhouette hurlante debout près du panneau et tomba, frappé d’un coup de crosse de pistolet. Ce dernier effort acheva Tracy. Du sang coulait des pansements posés sur la blessure de l’épaule, il était pâle comme la mort. Dans un dernier effort, il tenta de se traîner jusqu’à un canon. Déjà, la vie le quittait.

Bolitho comprit soudain toutes les étapes de ce cauchemar, tout l’enchaînement des événements. En entendant les hurlements de Gallimore, le factionnaire qui surveillait Tracy avait quitté son poste. Et qui pouvait l’en blâmer ? La terrible blessure aurait suffi à tuer n’importe qui.

La voix du capitaine du Revenge avait dû le sortir de sa torpeur et de la semi-inconscience où il se trouvait. Mais peu importait, Bolitho savait désormais qu’il n’avait plus aucune chance de mener à bien son plan initial.

— Mettez en batterie ! hurla-t-il.

Aiguillonnés par le désespoir, les hommes se précipitèrent sur les palans, les quatre pièces roulèrent lourdement vers leurs sabords.

— Feu !

Les canons crachèrent leur mitraille dans un grondement rageur.

— Stockdale ! La barre dessus !

Tandis que Stockdale et un timonier s’activaient à la roue, Bolitho dégaina son sabre. Plus rien désormais ne dépasserait pour lui ce moment.

Ses marins poussaient des cris, des tirs de mousquets partaient du Revenge. Lentement, le White Hills obéit à la barre, les voiles claquaient en prenant le vent, l’ennemi montrait un boute-hors de plus en plus menaçant.

Il y eut quelques coups de feu isolés, venus on ne sait trop d’où, Bolitho n’en savait rien. Il courut à l’avant, glissa dans du sang, dut sauter par-dessus le cadavre de Tracy pour gagner l’endroit où allait se produire le choc.

Comme un bélier, le boute-hors vint percuter l’avant du Revenge, abattant haubans et mât au passage. Le choc fut d’une rare violence, comparable à celui d’un échouage. Le White Hills prenait toujours de l’erre, la prise du vent entraînait les deux bâtiments de plus en plus vite, inextricablement mêlés. Nouveau choc terrible, puis les craquements d’espars brisés en deux.

Il avait les oreilles emplies du fracas des espars qui tombaient, des voiles arrachées, tout le mât de hune du Revenge s’écroulait dans un ramassis de toile au milieu de la fumée et ajouta encore aux effets dévastateurs de la collision.

Il était fou de rage, ne se contrôlait plus. Il leva son sabre en hurlant :

— Allez, les gars, sus à eux !

Les visages encore médusés s’éclairaient d’un enthousiasme soudain, les marins se ruèrent vers les bossoirs. À l’arrière, Bolitho entendit Frowd et sa bande d’éclopés qui tiraient avec tout ce qui leur tombait sous la main.

Le pont de l’ennemi était droit sous ses jambes. Il apercevait des yeux dilatés par la terreur, des cris sauvages, des hommes essayaient de se dépêtrer du monceau d’espars et de gréement qui gênait terriblement leur liberté de mouvement.

Une baïonnette vint clouer un marin qui s’écroula dans la fumée, Bolitho se laissa chuter, sentit ses pieds toucher l’autre pont, ses hommes arrivaient. L’homme à la baïonnette se rua sur lui, mais Stockdale l’empoigna, lui enfonça son couteau dans la bouche jusqu’à la garde et l’acheva d’un dernier coup en travers du cou.

Après le premier effet de surprise lorsqu’ils avaient vu le White Hills se ruer sur eux et chercher la collision, leurs adversaires s’étaient ressaisis, acharnés à repousser l’équipe d’abordage. Bolitho en était bien conscient, mais comme si tout cela se passait très loin de lui, hors de toute atteinte.

Plongeant derrière un espar tombé pour faucher un homme qui menaçait l’un des siens, il eut le temps de jeter un bref coup d’œil à son bâtiment. La grand-vergue était fendue en deux comme un arc géant, la toile et les cordages s’entassaient devant le château. Une véritable épave.

Au-delà de tous ces débris il aperçut, flottant au-dessus des volutes de fumée, quelques taches de couleur vive. Il comprit alors qu’il avait eu le temps de faire envoyer leur pavillon, mais ne se souvenait pas d’en avoir donné l’ordre.

— Par ici, les gars ! – c’était Buller qui brandissait une hache d’abordage et un pistolet : Foncez, vers l’arrière !

Et il tomba, le visage figé.

Bolitho serrait les dents : ils avaient réussi à gagner du temps à grand-peine, mais le temps leur échappait.

Un pierrier monté sur la dunette du Revenge ouvrit le feu, ils tiraient toujours sur le White Hills. Il entendait des tirs de riposte qui dominaient le fracas tout proche de l’acier, Frowd était bien décidé à se battre jusqu’à la mort.

Ils avaient fini par atteindre le milieu du bâtiment, mais les débris gênaient considérablement leur progression. Et la moindre hésitation signifiait une mort certaine.

Dunwoody roulait sur le pont, luttant avec un marin du Revenge. Il essayait de maintenir à distance le couteau qui le menaçait tout en recherchant désespérément son propre poignard qui était tombé. Un autre homme se rua dans la fumée, leva une hache et l’abattit sur le cou de Dunwoody, avant de l’achever au couteau.

Bolitho avait vu toute la scène. Il réussit à contourner un canot libéré de son chantier et se retrouva face à face avec le capitaine du Revenge. Un peu plus loin, il voyait la barre, désarmée, des morceaux de bois déchiqueté plantés dans le pont comme des quilles, des cadavres désarticulés, des blessés atteints par les six-livres qui se tramaient un peu partout. Il dut plonger, la lame de son adversaire siffla à lui raser la tête, niais l’homme se prit le pied dans un cordage et tomba lourdement sur le côté. Le sabre lui arrivait droit dessus, il leva le sien pour parer l’attaque, ressentit sous le choc une violente douleur à l’épaule. L’officier se leva et courut vers l’arrière plutôt que de subir l’assaut des marins qui lui fonçaient dessus : Rabbett, son coutelas dégoulinant de sang à la main, Carlsson, le Suédois, armé d’un mousquet et d’une baïonnette qu’il avait dû arracher à un adversaire, Borga aussi, le cuisinier romain qui avait un poignard dans chaque main comme l’un de ses ancêtres gladiateurs.

Il aperçut Quinn qui se battait un peu plus loin à deux contre un avec le reste du détachement. Il était pâle, du sang coulait de son front. En apercevant Couzens, Bolitho lui cria :

— Retournez à bord ! Je vous ai dit de rester avec Mr. Frowd !

Il dut se courber brutalement, une ombre lui passait devant. D’une torsion du poignet, il réussit à bloquer le poignard de son agresseur. C’était un officier marinier, tout aussi anglais que lui.

— Cette fois, vous êtes allé trop loin, monsieur !

L’homme le bousculait, la lame n’était plus qu’à quelques pouces de sa poitrine. Il était certes bon escrimeur, mais c’était surtout cette voix. S’il n’était pas Cornouaillais, il était sûrement du même pays que Bolitho, de la côte ouest.

Moffitt arrivait, tout fanfaron, le couteau rouge de sang.

— Et voilà pour toi !

Bolitho tomba, reçut l’officier marinier sur le corps. Moffitt lui avait planté son arme dans le dos : c’était miracle s’il ne les avait pas épinglés tous deux.

Couzens se battait comme un désespéré au milieu d’une horde qui l’assaillait. Les lames s’entrechoquaient, un pierrier explosa soudain en massacrant ses propres servants.

— Mais j’étais venu vous aider ! réussit-il tout de même à crier.

Bolitho se secoua le bras qui était tout ankylosé.

— Prenez deux hommes et descendez voir ce qui se passe en bas ! Dites leur de mettre le feu à ce brick !

Il savait pertinemment que le jeune homme était terrifié par la fureur désespérée dont il faisait montre.

— Allez ! Faites ce que je vous dis !

Les balles pleuvaient tout autour de lui, secouaient les cadavres. Le capitaine du Revenge avait envoyé des tireurs dans les hauts pour faire taire Frowd et pour essayer d’atteindre tout assaillant qui pouvait ressembler à un officier ou à un gradé.

— Attention, monsieur ! cria Stockdale.

Il se jeta en avant pour s’interposer devant un homme qui plongeait sur Bolitho avec un couteau, mais il était trop tard.

Le marin avait un visage terrifiant, Bolitho se demandait même s’il n’offrait pas le même spectacle, ce qui pouvait expliquer la terreur qu’avait manifestée Couzens en le voyant. Le lourd coutelas ripa sur son baudrier, pliant la plaque de laiton comme une balle de mousquet.

Bolitho vit l’expression de son adversaire se transformer en terreur puis un coup de hache lui fendit la tête de l’œil à la mâchoire. Il tomba en hurlant.

Il avait la nausée, il était épuisé, sonné par la sauvagerie de cette lutte. Couzens ne serait jamais capable de mettre le feu au brick et, de toute façon, ils perdaient pied, le combat était pratiquement perdu. Au moins, comme Quinn, il aurait essayé.

Il entendit de grands cris :

— Sus ! Sus !

Bolitho regarda Stockdale :

— Ce n’est tout de même pas l’ennemi qui crie comme ça !

Il se retourna, baissa la garde pour la première fois depuis le début de l’attaque. Des hommes d’une saleté repoussante, mal rasés, sortaient par le panneau avant.

Couzens était au milieu d’eux, hors de lui. Il cria :

— Des prisonniers, monsieur !

Il fut bousculé par les hommes qu’il venait de délivrer et qui attrapèrent tous les couteaux qu’ils purent trouver, des épieux, tout ce qui pouvait leur servir à combattre ceux qui s’étaient emparés d’eux.

Bolitho avait le sentiment de devenir fou, et pourtant, c’était bien vrai. Il s’agissait visiblement de marins capturés au cours de combats antérieurs, peut-être contre un gros brick. Les ex-prisonniers chargèrent au milieu du détachement d’abordage, bousculèrent l’équipage corsaire et en jetèrent même quelques-uns par-dessus bord dans leur hâte à s’emparer de la dunette.

— Allez, les gars, cria Bolitho, un dernier effort !

Et il courut avec les autres en poussant des cris incompréhensibles pour se frayer un chemin vers l’arrière, hachant, taillant, malgré son bras lourd comme du plomb.

Des balles pleuvaient encore çà et là sur le pont. Sans crier gare, un matelot tomba d’un hauban et sortit un pistolet de sa ceinture, les yeux rivés sur les assaillants. Il devait savoir qu’il était condamné, et pourtant, un dernier sursaut de fierté le faisait encore se battre comme un désespéré.

Couzens se retrouva face à face avec lui. Bolitho voyait la scène, mais il était trop loin, Stockdale encore plus.

— Si tu tires, je te tue ! cria Bolitho comme un dément.

L’homme ne daigna même pas ciller, Bolitho comprit qu’il allait faire feu, il voyait la détente sous son doigt.

Une silhouette jaillit d’un tas de voiles, se jeta entre Couzens et le pistolet qui le menaçait et prit la balle à bout portant.

Bolitho se précipita pour recueillir dans ses bras Quinn qui s’effondrait. Il n’eut pas le temps de voir Stockdale plonger son grand couteau, mais entendit seulement un grognement lorsque l’homme rendit l’âme.

Bolitho allongea doucement Quinn sur le pont. Il savait qu’il allait mourir, qu’il ne pouvait rien faire pour lui. La balle était entrée dans l’estomac, il y avait du sang partout.

— Je suis… désolé, réussit à articuler Quinn, de vous quitter… monsieur.

Bolitho le prit dans ses bras, il savait que Stockdale veillait sur ses arrières. Couzens était agenouillé près de lui, incapable de maîtriser ses sanglots.

— Dick, reprit-il, vous vous souviendrez, hein ?

Bolitho était au bord des larmes. Et ce qui rendait les choses encore pires, si possible, c’étaient toutes ces clameurs de joie. À l’arrière, autant dire dans un autre monde, ses marins et les prisonniers délivrés amenaient le pavillon, sous l’œil du capitaine du Revenge qui avait été sérieusement blessé au cours de l’attaque finale.

— Nous avons gagné, James, tout est terminé.

Quinn sourit, les yeux perdus dans les voiles déchirées.

— Vous avez gagné.

Il avait du mal à parler, le teint devenait cireux. Bolitho déboutonna sa chemise, dénudant la terrible cicatrice de sa première blessure.

De sa main libre, il dégrafa son baudrier et reprit :

— Quand je pense que vous étiez supposé embarquer comme passager… Sans vous, le jeune Couzens serait mort. Je ferai en sorte que tout ceci se sache en Angleterre, tout le monde saura de quel courage vous avez fait preuve.

Quinn tourna la tête pour le regarder.

— Je n’ai plus peur, maintenant – il fut pris d’une quinte de toux, du sang coulait sur son menton : Dick…

Bolitho allait lui répondre lorsqu’il vit la dernière lueur quitter ses prunelles, comme une chandelle qui expire.

Doucement, tout doucement, il reposa ses épaules sur le pont et se releva.

Stockdale lui touchait le coude :

— Ressaisissez-vous monsieur, les hommes vous observent.

Bolitho lui fit signe qu’il avait compris, les yeux embués.

— Oui, merci.

Et il se retourna pour contempler ses marins, épuisés mais triomphants. Il s’en était fallu de si peu, ces hommes avaient donné le meilleur d’eux-mêmes. Ils méritaient bien ce dernier témoignage de reconnaissance, quoi qu’il pût lui en coûter.

— Voilà du bon travail, déclara-t-il d’une voix calme. Pour un équipage aussi réduit, je ne connais personne qui aurait montré autant de courage.

 

Les deux prises firent leur entrée à Port-aux-Anglais trois jours plus tard, sous les yeux de toute l’escadre.

Et ces trois journées avaient été particulièrement pénibles : il avait fallu effectuer les réparations sommaires exigées par la traversée jusqu’à Antigua, faire le tri parmi les prisonniers et les répartir entre les deux bâtiments.

Ce jour aurait dû être le jour de gloire de Bolitho, mais il était encore sous le coup de la mort de Quinn lorsque la vigie annonça la terre.

Il avait pris le commandement du Revenge. L’un des premiers ordres qu’il eût donnés, après qu’ils eurent établi un gréement de fortune et immergé les tués des deux bords, avait été d’ôter sa plaque sous laquelle Tracy avait fait ajouter sa devise préférée : « NE ME MENACE PAS », agrémentée d’un serpent pour faire bonne mesure.

La terre émergeait lentement de la brume, les deux bricks s’avançaient doucement vers l’entrée du port. Une frégate était venue les reconnaître.

— Qu’est-ce que je leur dis, monsieur ? demanda Couzens.

Stockdale regardait Bolitho : il croyait qu’il avait compris la question.

— Je m’en occupe, monsieur Couzens, fit-il enfin en voyant qu’il n’y avait pas de réponse.

Il mit ses deux grosses pattes en porte-voix et cria d’une voix forte, de façon que tout le monde l’entendît :

— Le brick de Sa Majesté Mischief rejoint la flotte !

Il fit une pause avant d’ajouter :

— Commandant : lieutenant Richard Bolitho !

 

Fin du Tome 3



[1] Fear signifie « crainte ». (Toutes les notes sont du traducteur.)

[2] « Lougre », en anglais.

[3] En français dans le texte, comme tous les mots ou expressions en italique signalés par un astérisque (*).

En vaillant équipage
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